Paris Derrière a rencontré Nathanaël Friloux, le réalisateur du documentaire auquel j’ai participé en 2017, Planète Kinbaku.
Désormais, du côté des stars Lady Gaga, Dita von Teese ou encore Quentin Tarantino pour ne citer qu’eux, il est de bon ton de s’exhiber joyeusement «encordé » ! Le kinbaku ou shibari sort du ghetto bdsm et fait l’objet d’un documentaire bien ficelé Planète Kinbaku diffusé sur le site Spicee.com. Cette pratique inventée par les samouraïs, consiste à lier l’autre grâce à des cordes de chanvre et des noeuds savants. En occident, elle se veut aujourd’hui une nouvelle technique de développement personnel, encore une ! La pratique garde tout de même une connotation très érotique. Interview du réalisateur Nathanaël Friloux.
C’est le 1er documentaire sur l’art d’attacher les corps à la japonaise, probablement le film qui fera connaître cette pratique ancestrale auprès du grand public, une enquête incarnée, piquante et poétique qui nous fait voyager des plages d’Andalousie à Tokyo en passant par Londres et Paris. Il est coproduit et diffusé par Spicee.com, site de documentaires en VOD, c’est un peu le Netflix du grand reportage.
Le réalisateur et coproducteur de Planète Kinbaku Nathanaël Friloux a bossé dessus pendant trois ans, s’immergeant dans ce milieu pas si fermé. Je m’occupe de la communication de ce documentaire, j’en suis l’attachée de presse quoi. Mais je ne suis pas bâillonnée pour autant en tant que journaliste, ça ne m’empêche pas d’enfiler ma combinaison de diablote pour interviewer Nathanaël. Même s’il a donné de son corps en se faisant attacher pour son film, quand je le retrouve, il a préféré ranger les cordes. Plus pratique pour parler quand même…
Paris Derrière : Soyons précis, le terme exact c’est kinbaku ou shibari ?
Nathanaël Friloux : Shibari, c’est l’idée de faire de nœuds avec des cordes sur des objets mais l’art d’attacher des personne, le terme précis c’est kinbaku.
Pourquoi t’être intéressé à cette pratique qui a l’air barbare ?
Ça vient d’un contraste. Sur le tournage de Sexe, douleur et rock and roll, documentaire que j’avais produit pour ARTE, je me suis retrouvé dans une grand-messe fetish : des gens se faisaient fouetter, d’autres accrocher, asperger de cire de bougie, c’était un peu effrayant. Et au milieu de tout ça, il y avait une nana en kimono, le visage peint en blanc qui se faisait attacher, ça paraissait super doux, apaisant. Ça semblait une caresse dans ce monde de brutes. Et ça attirait beaucoup de spectateurs. Contrairement aux autres pratiques, elle était identifiable avec un fond culturel.
Pourtant à l’origine le kinbaku, ce n’est pas pour rigoler, ça n’a rien d’érotique.
Il y a 600 ans sous l’époque Edo, le kinbaku était un outil de capture et de torture utilisé par les samouraïs. Chaque région avait ses nœuds qui permettaient de renseigner sur qui avait capturé, pourquoi le prisonnier avait été capturé et les circonstances. C’était une identification. Ça a perduré jusqu’au XXème siècle puis dans les années 1920, l’artiste Sieu ito s’est mis à faire des estampes et des photos avec sa femme comme modèle en s’inspirant de scènes guerrières. Ces images étaient vendues sous le manteau, c’est devenu érotique et récréatif à ce moment-là.
Ça a l’air dangereux comme pratique. Y a t-il des accidents ?
Il a des principes de bases anatomiques à connaître. Le plus gros risque concerne le nerf radial qui peut se bloquer, comprimé par la corde. On peut se retrouver avec le bras bloqué et ça peut durer parfois quelques semaines. Ça ne fait pas mal mais c’est très impressionnant. Comme toutes les pratiques extrêmes, il faut s’échauffer, ne pas forcer sur la colonne vertébrale et bien étudier les points d’appui des cordes ou du harnais. Pour s’informer, il ne faut pas hésiter à contacter l’École des Cordes.
La pop culture s’en imprègne beaucoup dernièrement. Se faire saucissonner, c’est ultra tendance !
Oui, tu peux voir Shakira porter un harnais qui évoque les cordes dans son clip Chantaje mais aussi Sara Forestier dans le clip de Christophe Dangereuse. Dans le film Iris avec Romain Duris, toute la scène du kidnapping, c’est du kinbaku. Lady Gaga pour le magazine Vogue ainsi que Dita Von Teese, ont fait une série de photos avec le célèbre photographe Haraki. Idem pour Quentin Tarantino immortalisé par les clichés de David Lachapelle. Et puis sur Netflix, un épisode de Dardevilles’appelle Kinbaku. Il faut dire que 50 Nuances de gris a aussi contribué à mettre le cachet « valable » sur tout ça.
Pourquoi notre époque compliquée, pas très attachante au fond, est-elle propice à un tel engouement ?
Il y a plusieurs raisons : le kinbaku possède en soi tous les éléments érotiques, oniriques qui ramènent à la sexualité. Nous sommes en période de crise économique. La sexualité, c’est gratuit, c’est une valeur refuge. Deuxièmement : c’est facile à apprendre. Tu t’achètes une corde, même La Redoute en vend. Troisièmement, il y a le prétexte du fond culturel, les gens se rassurent en se disant qu’ils font un truc pas forcément sm, qui vient de loin, qui est zen, silencieux, méticuleux, lent. T’es forcé d’éteindre ton smartphone, de te concentrer pleinement sur une tâche. Ça correspond à une recherche en terme de détente, de développement personnel comme le yoga. Et puis il y a l’élément ultime : ça facilite les rencontres. Les aficionados se regroupent, ils sont souvent vegans et super mobiles. Ce sont de nouveaux hippies.
Point d’orgue de Planète Kinbaku : le voyage au Japon où là-bas, la pratique est explicitement sexuelle. Pas question de développement personnel.
Oui, le kinbaku s’y trouve dans le champ du porno, du dark mais aussi de l’humour en s’inspirant du théâtre traditionnel kabuki. Donc c’est très sulfureux. Le Japon est très macho, il y a des codes rigides. Les mecs n’ont pas une super opinion d’eux-mêmes en terme de virilité. La femme doit simuler la douleur, sinon l’homme n’a pas l’impression d’être puissant. Donc, c’est pratiqué dans des SM bars, des bars ouverts à tous, mais ils sont difficilement repérables dans la rue, il faut se faire inviter. Et puis, ce n’est pas évident d’en parler facilement avec les japonais même si tout le monde sait ce que c’est.
Planète Kinbaku insiste sur l’importance du consentement, parce qu’une fois attaché, bah on se retrouve à la merci de l’autre ! Sauf qu’une des intervenantes, Calamity Steph parle du fait qu’il faut aller un peu au delà de la limite de la personne attachée… Là, nous ne sommes plus dans le consentement.
C’est comme cela que les japonais envisagent le kinbaku. Ils vont au delà du consentement. Là-bas, il ne faut jamais perdre la face, cette pratique va créer une situation d’inconfort suffisante pour que les rictus, les émotions apparaissent, ce qui est très transgressif pour eux. Chez les occidentaux, ce n’est pas le cas, même s’il y a quand même des abus de la part d’attacheurs peu scrupuleux, il faut faire attention. (à la fin de l’interview la mise au point de Calamity Steph.)
Dans Planète Kinbaku, beaucoup de filles s’attachent entre elles…
Les nanas assument plus, j’ai été surpris à quel point elles affirment que ça titille leur sexualité. Les mecs eux, font semblants de ne pas adhérer, se censurent systématiquement. Ils sont encore sur l’idée qu’ils risquent de passer pour des salauds qui soumettent des filles. L’enjeu féministe se situe là, c’est comme pour la prostitution : certains vont dire que les prostituées sont à même de décider si elles sont libres ou pas et puis d’autres vont penser qu’une femme ne peut pas décider librement car elle est soumise aux diktats de la société patriarcale.
Des gars, on en voit très peu se faire attacher. Dommage !
Ils n’aiment pas se montrer à l’image. Mais hors caméra, je vois de plus en plus de jeunes hommes entrer dans cet univers avec l’idée de se faire attacher, de lâcher le contrôle, ce qui va à l’encontre de leur éducation de garçon. C’est une génération plus égalitaire qui a moins peur de montrer sa fragilité, sa vulnérabilité. Assumer, cela permet de mieux vivre sa masculinité.
Toi, tu n’as pas hésité, tu t’es fait ligoter. Un peu maso sur les bords Nathanaël ?
Très sincèrement, ça ne m’a pas fait grand chose même si c’était agréable. Au Japon, il fallait sauter le pas sinon j’avais l’air un peu con. Les mecs de mon équipe n’ont pas voulu se dévouer, ils ont eu peur, donc j’y suis allé. C’est assez sympa, je n’ai pas regretté. La douleur est supportable, si la corde appuie sur un os, genre le tibia, ben ça fait mal, c’est normal. Finalement, tu te décontractes parce que tu peux te laisser aller au maximum, ton espace d’action étant restreint par les cordes.
Il paraît que ça fait autant planer qu’un bon joint. C’est vrai ?
L’endorphine, c’est pour les gens qui se font attacher fort, la tête en bas dans des positions douloureuses. Là oui, il y a un moment qui s’appelle le « rock space » où tu pars un peu. C’est très sympa aussi lorsqu’on t’enlève les contraintes. Puis à la fin, il y a le « care », quand l’attacheur ou l’attacheuse se fait pardonner, fait des bisous et des câlins à son modèle.
Nous n’avons jamais été aussi libres de nos faits et gestes qu’à notre époque. C’est curieux quand même ce désir de s’aliéner à nouveau.
Il y a un côté cocon, je m’abandonne dans un espace bien délimité. Tu trouves un petit bonheur rassurant face à un monde angoissant. Chez les plus jeunes, il y a l’idée de survie : faire plein de trucs avec juste une corde, c’est primitif et ça les sort des écrans. Dans notre société un peu paumée, c’est aussi un moyen de prendre un chemin assez branché, qui permet de survivre en donnant des cours, qui te garantit des amis, le gîte et le couvert un peu partout dans le monde où se trouvent ces communautés. C’est une vie refuge, une bulle tranquille non-clivante.
Tourner un film avec des gens tout nus qui s’attachent, ça n’a pas du être simple. Non ?
Il a fallu du temps pour gagner la confiance des intervenants, mais ce n’était pas une obsession. Ce sont d’abord devenus des potes pour la plupart. C’est toujours compliqué humainement quand tu filmes une activité où les personnes utilisent leur corps. Tu es à la merci des petites ou grosses envies, des non envies. Quelqu’un que tu dois filmer le lendemain à 9 heure du matin, peut au dernier moment dire non. On a eu des déplacements à l’étranger pour rien. Et plus, quand tu es dans des endroits où tu as plein de monde, il faut que même les gens que tu filmes en train de regarder une performance, soient d’accord. Ce n’est pas un film sur la belote, ce sont des pratiques que l’on ne peut pas forcément avouer à l’entourage, à la famille. Tu remarqueras qu’il n’y a aucun floutage. Donc gros travail de préparation.
Mise au point de l’attacheuse Calamity Steph : « Quand je parle d’aller au-delà de la limite, il s’agit bien évidemment d’explorer à deux dans un cadre défini avec mon partenaire et en aucun cas de pousser les limites sans accord explicite de celui-ci. En amont de la session, quand ce n’est pas par le biais d’un questionnaire écrit, je discute avec mon partenaire des envies et limites de chacun, des jeux à explorer et nous convenons d’un safeword. Cette étape, même en pratiquant du Kinbaku traditionnel est nécessaire car nous sommes en Occident et que moi-même, en tant qu’attacheuse, j’ai aussi des limites et qu’il m’arrive de refuser des demandes formulées par mes partenaires. »